Chroniques, nouvelles et billets d'humeur de l'Affreux Jojo.
Le Russe, ce n’est pas difficile.
Avant de vulgariser, si cela s’avérait vraiment nécessaire, la triviale grammaire russe, penchons-nous sur son alphabet. Bon nombre de personnes jugent ses caractères comme une barrière infranchissable ; il n’en est rien, l’apprentissage d’un nouvel alphabet s’apparente à celui d’un texte de théâtre : le par cœur est une condition nécessaire plus facile que l’on imagine, mais loin de représenter le coeur du travail.
Regardez-moi : après 25 ans de lecture assidue du cyrillique, je ne trébuche plus (moins) sur les mots courts (de moins de 15 lettres. Qui constituent, certes, moins de 10% de la langue. Mais bon… j’ai la force de le reconnaître : je suis mauvais.)
Révisons d’abord les origines de l’alphabet cyrillique, qui expliquent... beaucoup de choses...
Le frère Cyrille, autrement appelé Constantin le Philosophe et Chatounet par ses esclaves-sexuelles, a vécu au milieu du IXème siècle. Tout le monde connaît l’histoire officielle, ressassée au collège et relayée par la presse people : né vers 830 en Thessalonique, fils de Léon et Marie, benjamin d’une portée de 7 chiards, il est pris, à la mort de son père, âgé de 14 ans, lui, pas son père, sous la protection du premier ministre. Il fait des études brillantes à Constantinople, devient un scientifique émérite et dédie sa vie aux livres. Je serai bref, Wikipedia vous fournira les détails aussi précis qu’inexactes : en mission chez les Khazars, puis en Bohême-Moravie, il consacre des années à la langue des Slaves, le Slavon, qu’il dote à mains nues d’un nouvel alphabet : le Cyrillique.
L’histoire plus confidentielle de Cyrille n’a été dévoilée qu’au XXème siècle, lorsqu’a été exhumé le journal intime de l’intéressé. L’affaire fit scandale, retenue sous le nom de Cyrilleaks, et fut mal étouffée par Gorbatchev car remettant en cause les fondements de la langue de l’empire. On connaît les conséquences : l’effondrement du bloc soviétique et la résurgence des dialectes nationaux : Ukrainen, Biélorusse, Géorgien, Breton et Catalan.
Cyrille est plus à plaindre qu’à condamner. Fils de Marie, fille de joie, et d’une poignée de dollars thessaliens, sa mère accepte d’épouser Léon, brutal négociant africain, meilleur client de son bordel. L’homme ne pardonnera jamais à la péripatéticienne la dissimulation de ses morveux, qu’il découvre braillant le lendemain du mariage. Les relations du couple s’enveniment. Le beau-père, ruiné par la honte publique, la rancune et par les bouches avides des bâtards, aviné au picrate, tombe tous les soirs à bras raccourcis sur le benjamin déjà bien amoché par ses demi-frères. En bon dernier, il est le plus faible, et accuse plus cruellement encore le manque d’argent et de nourriture : il n’y aura jamais assez d’alcool ni de dessert pour atteindre sa ration.
Cyrille grandit, court et chétif, dans l’amertume propre et figurée qui contracte son visage en une moue retorse indélébile, et allume son regard d’une flamme torve. Il finira, à 14 ans, sans avoir jamais goûté à une tarte aux pommes, par tuer son beau-père et s’enfuir dans les jupons du premier ministre. Dans le palais, Il troque Cyrille contre Constantin, famine contre orgie, violence contre abus sexuel.
A l’école, animal oméga de la meute, les sévices s’aggravent. Il se réfugie dans les livres. Et Dieu sait qu’une couverture rigide, ça peut faire mal.
Drogué au malheur, Constantin grandit un mépris pour l’humanité, se forge un rempart d’indifférence crispée devant l’adversité, ce qui lui vaudra le surnom de Constantin le Philosophe. Derrière ce mur, les structures fragilisées de sa psyché s’effondrent : la nuit, il punit des esclaves sexuelles (celles qui l’appellent Chatounet, oui), fait des cauchemars où bouillonnent mathématiques et religions, et où les lettres grecques violent sauvagement leurs cousines latines. Il se réveille invariablement chaque matin dans l’odeur âcre des corps amollis en ruminant sourdement une terrible vengeance.
Cyrille profitera d’une mission d’évangélisation pour s’éloigner de Constantinople. Il trouvera une cible parfaite avec les Slaves : derrière leurs airs sévères, miroir de son visage, ils se montrent curieux et bonhommes. Les pauvres diables ne se douteront de rien. La perversité de Cyrille/Constantin/Chatounet accouchera de son plus sombre rejeton, un cadeau empoissé de fiel qui teintera à jamais l’Orient : son nouvel alphabet.
Trêve d’histoire.
Sautons à pieds joints dans l’étude du cyrillique. Un exemple vaut mieux qu’une leçon :
ШИНПИШИПЩИЙ
Eloignez-vous et regardez à nouveau.
Oui, selon des études scientifiques sérieuses, un mot russe ressemble à 94,7% à un labyrinthe Télé 7 jours longiligne ; et à 96,4% à un jeu en bois inclinable dont le but est d’amener la bille à l’extrême gauche.
Je vous rassure, ce mot n’existe pas. En tout cas pas à ma connaissance. Je vais vérifier, ils en seraient bien capables.
Un mot peut donc s’envisager de manière artistique : tracez des barres verticales sur toute une ligne, que vous rejoindrez deux à deux par des traits horizontaux ou diagonaux, un œil fermé, pinceau dressé et langue tirée.
Le salopard.
Mais zoomons plutôt sur les majuscules d’imprimerie.
Un des pièges les plus connus de cet alphabet : les lettres « A», « K », « M » et « T » sont effectivement « A», « K », « M » et « T » et dans le même ordre. C’est troublant.
Pour le reste,
Chaque voyelle existe en double : la voyelle de base, dite dure, et sa contrepartie dite molle. Ne faites pas de réflexion déplacée.
Le i existe en cyrillique. Я pourrait s’écrire ИA, Ë, ИO, etc. Alors pourquoi des lettres distinctes ? Relisez la biographie...
Fort de cette introduction, vous pouvez déjà vous entraîner à la lecture :
Cela se lit… se lit… se lit…
Vous ne faites vraiment aucun effort. Cela se lit phonétiquement :
C’était pourtant facile. Réessayons : Са сэ ее !
Bien, vous aurez facilement déchiffré : ça c’est yéyé.
Certaines consonnes sont donc empruntées du Grec. Fins mathématiciens rompus à l’analyse de Fourier que vous êtes, vous aurez déjà déchiffré : Р est le ro, se prononce donc R, Г le gamma, se prononce GUE, Д le delta, se prononce D, П est le pi, se prononce P et Ф, phi, se prononce F.
СССР, en Russe URSS, est en fait… SSSR ! Tout de suite, cela fait plus de sens. Enfin, moi je trouve.
Ajoutons les lettres russes prononçables :
Refaisons un petit test : юу, жэ суи ла !
Oui, c'est bien un Espagnol qui vous appelle : iouhou, jé souis là !
Finissons par les lettres impensables :
Ces deux dernières lettres, appelés signes mous et durs, poussent dans les mots comme des champignons après une pluie d’automne. J'ai concocté de manière expérimentale la méthode suivante, qui semble empiriquement valable :
Vous l’aurez compris : Ь est plus fréquent que Ъ.
L’ordure.
Vous pouvez déjà vous débrouiller dans la rue en déchiffrant quelques mots :
En complément :
Vous savez tout. Rien de sorcier, mais l’expression « cela s’écrit comme cela se prononce » a dondc autant de sens en Russe qu’en Français.
Ah pardon et j’oubliais l’écriture manuscrite : t s’écrit m, parfois t, д (d) devient g, н (n) devient n (bah tiens justement) et и (i) devient u.
Reste à saupoudrer le tout de petites règles simplettes : à la fin d’un mot, Г se prononce k, В (V) se prononce F. Ainsi, « y va encore faire chier longtemps le popof ?» devrait s’écrire « y va encore faire chier longtemps le popov ?». J’anticipe, tout le monde y reconnaîtra bientôt le génitif pluriel masculin. Naturellement, les gutturales Г, K, Х ne peuvent qu’être suivies des voyelles A, Y, O, E et И. Evidemment, derrière les chuintantes Ж, Ш, Щ, Ч, on autorise en plus le Ё.
Enfin, ОГО se prononce OVO au lieu d’OGO en fin de mot, uniquement quand on parle vite, parce que si on parle lentement, c’est quand même OGO. Ne me regardez pas comme ça.
Je terminerai ce préambule par quelques conseils :