Tout ce que je suis, tout ce que je ressens, tous ces souvenirs qui s’entassent pêle-mêle dans mon présent, le bruit plastique de mon clavier, le contact rêche de mon dossier, son sourire délicieux et angélique, le courant d’air sur mes pieds, la douleur sourde dans mon épaule, la douleur sourde dans mes hanches, la douleur sourde dans ma conscience, les étreintes charnelles, la chaleur du soleil, la tendresse maternelle, mes yeux hérissés de larmes, mes espérances de réussite, d’amour et de complétude, mes incertitudes et mes regrets, tout ce que je sais, tout ce que je tais, tout, tout, tout ne sera plus dans un an.
Et mon esprit las pleure des mots qui ne seront plus dans un an. Je suis fatigué et titube comme un ivrogne, je me cogne contre les murs, enivré par l’idée de ma propre mort, intoxiqué par l’idée du néant. Les secondes m’enchaînent et me tirent vers l’oubli. Sourire amer, larmes amères, l’angoisse vrille mes entrailles et l’acide fermente dans mes veines. Ma chair même a la prescience de sa fin et me semble déjà pourrie : ma peau exhale la mort par tous ses pores. Mes yeux sont ouverts mais je ne vois plus. Et de ma bouche serrée les sons ne peuvent plus sortir, pas même ces trois petits mots, dernière vérité : je vais mourir.
Mes frères devant la mort, dans la mort, mes chéris, mes amours, vivez. Vivez car c’est maintenant. Je savais que j’allais mourir un jour, avant de savoir, mais à présent cette certitude si noire qu’il est trop tard s’est refermée sur moi. Il est trop tard. Trop tard pour tout. Ce n’est pas grave : ce désespoir, comme un trou béant dans ma poitrine, un poids écrasant sur ma nuque, ne sera plus dans un an.
J’ai si mal.
Je suis si triste.