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6 novembre 2005 7 06 /11 /novembre /2005 00:00
- Veuillez descendre de votre véhicule et nous suivre Monsieur.
De me faire sortir de ma voiture, pour grimper dans leur fourgon. La femme farfouille dans un coffre, sort un ballon vert de gamin en caoutchouc flasque.
- Veuillez souffler dans le ballon Monsieur.
Je porte l'embout à mes lèvres et m'exécute. Lentement, la membrane se dilate, une figure diaphane apparaît sur sa surface bombée ; je continue à souffler jusqu'à ce que le ballon soit raisonnablement gonflé.
-  Ne bougez pas Monsieur.
La femme pince délicatement l'embout près de mes lèvres qu'elle m'intime de desserrer. D'un mouvement rapide elle fait un nœud, tourne le ballon qui présente le dessin haut en couleurs de l'Oncle Picsou.
Dans l'intervalle, son collègue a ouvert un Mickey Parade et s'absorbe dans la lecture d'une page. Par dessus ses mains, je distingue un code de correspondance : à la figure de Donald correspond un verre, à celle de Mickey, deux verres. A celle de Picsou, trois verres et quatre pour Dingo. L'homme redresse la tête, la bouche pincée et les yeux suspicieux de celui qui sait.
- Saviez-vous Monsieur que la limite est à deux verres de vin ?
Son doigt tapote nerveusement le dessin de Mickey.

Une lame de lassitude déferle en moi. Depuis des semaines et des semaines, je n'ai pas eu le temps de reprendre mon souffle, de toucher terre, les yeux toujours sur des projets, le travail, les sorties... Besoin de vacances. Je hausse les épaules négligemment. L'état s'éloigne.

- Que faites-vous dans la vie Monsieur ?
Qu'est-ce que c'est que cette question ? Suis-je seulement tenu d'y répondre ? Je me re-concentre sur le rôle : mes yeux roulent et ma mâchoire s'avance.

Interlude.
N'y a-t-il pas dans votre vie des moments où vos muscles vous trahissent ? Vous laissez tomber un objet pourtant solidement serré dans votre main, comme si votre cerveau avait intimé l'ordre à votre paume de s'ouvrir.
N'y a-t-il pas dans votre vie des moments où votre bouche vous trahit ? Vous avez décidé, de cette décision ferme et définitive, de commander une salade de fruits, mais lorsque le garçon s'avance et vous interroge, avant même d'avoir réfléchi, les mots "fondant au chocolat glace vanille" résonnent de votre voix étrangère ?
Fin de l'interlude.

- Dealer de drogue, Connard.

Trahison glaciale de mes lèvres, mes propres yeux en sont exorbités, ainsi que les leurs. Le souffle tonitruant d'une bombe thermonucléaire de plusieurs giga-tonnes retentit à mes oreilles. A mon esprit. Un silence solide nous pétrifie. J'ai perdu l'état. A mon esprit médusé, des flashs de pensées incohérentes se bousculent, pourquoi, que vais-je faire, que vais-je dire. Est-ce la part inhérente d'autodestruction de tout un chacun, qui, un bref instant, a dominé mes pensées ? Besoin de vacances.

Et si ?...

Il germe, il fleurit, il gonfle dans mon ventre, comme une énorme bulle, remonte le long de ma poitrine et explose dans ma gorge : le fou-rire. Un fou-rire dément, total, frénétique, entre mes larmes, les deux autres paniquent, leurs voix autoritaires rebondissent vainement contre mes éclats, je halète, je pleure, renifle, me calme... Et si ?...

Le fou-rire reprend de plus bel, j'ai mal au ventre, je me tords de douleur, les larmes ruissèlent le long de mon visage écarlate, je tente de reprendre mon souffle, hoquète, inspire, crache en explosant, expire, inspire, un, deux, trois, expire, un, deux, trois. Inspirer, un, deux, trois, expirer, un, deux, trois.

Et si je me payais de grandes, très grandes vacances ?

Rouge.

Je me jette sur eux, mon visage contracté en un rictus haineux, la gueule écumante de rage, les yeux étincelants de mort, toutes griffes dehors. Chaos indistinct de sensations, rugissements, hurlements. J'ai atteint l'état de rage primale précédent toute pensée, un feu dévorant gonfle mes veines, de minuscules aiguilles charriées par mon sang en raclent les parois : en moi gronde la faim inextinguible de la destruction, ma peau électrique, écorchée, distingue à peine les coups, les mains saisissant et immobilisant mes membres, une minuscule boule tangue dans mon crâne et chamboule tous mes neurones en déroute.
A mon fou-rire persistant se mêlent le chant des sirènes hurlantes, des vociférations menaçantes, mon cœur dératé, mon esprit éclaté, le déchirement d'une guitare, le rire joyeux d'un enfant. L'enfant s'approche, il progresse maladroitement sur la plage, son maillot de bain azur collé par la mer, le sel séché sur ses jambes menues. Le vacarme s'est évanoui, seul le ressac des vagues clapote doucement. Ses cheveux à la coupe au bol désuète sont chahutés par le vent. Il m'adresse une moue de fausse colère, les deux poings serrés sur les hanches, mais il ne peut garder son sérieux et pouffe. Une fragrance de nostalgie douceâtre embaume mon esprit. Alors seulement me reconnaît-il. Sa bouille naïve et ingénue s'obscurcit de désarroi. D'inquiétude. De panique. Il me dévisage gravement. Il n'a plus rien d'un enfant. Je le reconnais à mon tour. Je me reconnais.

La cacophonie stridente des sirènes rejaillit soudainement. Je suis au sol, solidement plaqué mais je tente toujours de résister. Mes yeux liquides ne distinguent plus rien qu'un immense poing serré, à quelques centimètres de mon nez.

Noir.

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commentaires

O
Cette fois, je suis sans voix...<br /> <br />
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Qui suis-je ?

"J'étais celui qui avait plusieurs visages. Pendant les réunions, j'étais sérieux, enthousiaste et convaincu ; désinvolte et taquin en compagnie des copains ; laborieusement cynique et sophistiqué avec Marketa ; et quand j'étais seul (quand je pensais à Marketa), j'étais humble et troublé comme un collégien. Ce dernier visage était-il le vrai ? Non. Tous étaient vrais : je n'avais pas, à l'instar des hypocrites, un visage authentique et d'autres faux. J'avais plusieurs visages parce que j'étais jeune et que je ne savais pas moi-même qui j'étais et qui je voulais être."

Milan Kundera, La plaisanterie



"Si tu étais une particule, tu serais un électron : tu es petit et négatif."


Grégory Olocco



"Tu es un petit être contrefait simplement réduit à ses fonctions vitales."


Vincent Méli